Les grands explorateurs du vieux port de La Rochelle

Récit de voyages

15h32. Bousculades sur le quai de la gare. Le hall du bâtiment central avec ses grandes mosaïques accueille les nombreux touristes venus pour la plupart de la capitale. Dehors, le campanile et ses 45 mètres de haut domine la vaste esplanade qui fait face à un large boulevard bordé d’arbres. Il y a des travaux, les voitures stationnent sur les trottoirs et gênent les voyageurs les plus pressés. Je me retourne et admire la façade de cette gare richement décorée et vieille d’un siècle : le style de la façade est typique des bâtiments marins de l’Ouest de la France, copié de la célèbre Tour de la Grosse Horloge située quelques centaines de mètres plus loin. Le soleil descend déjà vers l’horizon, il fait chaud pour un mois de février et je me surprend à sourire à la vie. Deux ans sont passés, et j’avais oublié à quel point la ville de La Rochelle m’avait manqué.

Les secrets du vieux port de la Rochelle

Enfant, j’étais fasciné par ce port fortifié, le célèbre vieux port de La Rochelle. J’imaginais des marins explorateurs de contrées inconnues. Je rêvais à des voyages aventureux. Je scrutais souvent l’horizon entre les deux tours médiévales. Puis vint le temps des questions : qui étaient donc les habitants de cette ville, comment vivaient-ils il y a un siècle, 500 ans, un millénaire ? Au fil de mes voyages en pays rochelais, je devins plus curieux, dépassant l’oeil du simple touriste en contemplation devant ce port à l’architecture si harmonieuse. La tour Saint-Nicolas et la tour de la Chaîne avaient vu passé tellement de navires qu’elles avaient certainement de nombreux secrets à me confier. Et la suite de mon séjour me montra que j’étais encore loin de la vérité.

Sans surprise, je découvris tout d’abord dans mon guide touristique que le premier port fortifié de La Rochelle fut un grand lieu de pêche et de commerce. Puis, au XVIIème siècle, il fut reconstruit et devint avant la révolution française un carrefour important entre l’Europe, l’Afrique et surtout l’Amérique. Mais ces années de traversées dans l’océan Atlantique ne sont guère glorieuses : La Rochelle devint en effet un des principaux ports négriers de France. Des centaines de navires sont ainsi partis de La Rochelle et ont participé à la migration forcée de plus de 130 000 africains vers les nouvelles colonies d’Amérique. Le dernier départ de cette traite négrière eu lieu en 1792, freinant les exportations de marchandises et aboutissant au déclin progressif des activités coloniales de ce vieux port millénaire.

Le musée du Nouveau Monde et la destinée de Nicolas Baudin

Le port de La Rochelle avait donc été le départ de nombreux voyages vers le Nouveau Monde. Mais cette conquête de l’Ouest s’était-elle limitée à la traite négrière, cette passade historique si peu reluisante pour le pays des Lumières ? Il fallait que j’en ai le coeur net. Car j’avais l’intuition que le passé recélait des épisodes moins obscurs.

C’est donc au guichet d’un bel hôtel particulier que je me retrouvais le lendemain. Habité par une famille de négociants pendant deux siècles, l’hôtel Fleuriau héberge aujourd’hui le musée du Nouveau Monde. Peintures, gravures, dessins, sculptures sur le thème de l’esclavage et des peuples autochtones des Amériques, tel fut le commencement de ma visite et mes investigations. Et au détour d’une salle, je découvris un nouvel indice faisant avancer mon affaire : Nicolas Thomas Baudin.

Né sur l’île de Ré toute proche, Nicolas Baudin fut d’abord un navigateur marchand, fidèle à la tradition familiale. Au cours d’un de ces voyages vers le Nouveau Monde, il rencontra un botaniste et découvrit ainsi les techniques de maintien en vie des plantes et des animaux. La vie de Nicolas Baudin prend alors un nouveau virage : il devint botaniste et dirigea par la suite de nombreuses expéditions scientifiques. Des mers asiatiques aux Antilles, en passant par les Terres Australes, Nicolas Baudin fut un explorateur prolifique et finalement peu reconnu. C’est notamment grâce à lui que l’on peut admirer de nombreuses collections naturalistes au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Les explorateurs charentais n’étaient donc pas tous des marchands peu scrupuleux. Il me fallait en savoir plus.

Les remparts du vieux port de La Rochelle
Les remparts du vieux port de La Rochelle

Le Phare du Bout du Monde et le mystérieux André Bronner

Lorsque je parle de La Rochelle autour de moi, peu de personnes savent que s’y trouve le Phare du Bout du Monde.

– « Un phare du bout du monde à La Rochelle, vraiment ? »

– « Le phare du bout du monde, ce n’est pas plutôt en Amérique du Sud ? »

Et pourtant, il suffit de marcher quelques minutes le long du port des Minimes proche de la gare pour admirer ce sulfureux « phare du bout du monde ». Ce que je fis après ma visite muséale. Et c’est là que je devais trouver un nouvel indice dans ma quête des explorateurs de La Rochelle : André Bronner.

Mais laissez-moi tout d’abord vous narrer l’histoire de ce formidable phare que Jules Verne a si bien conter avant moi dans un de ces derniers romans. Après quelques minutes de marche le long de la baie, les touristes du week-end firent place progressivement à des joggers avertis et quelques curieux. Je m’imaginais découvrir un bâtiment vieillot, longitudinal, et avec un système d’éclairage innovant pour l’époque. Rien de tout cela. Le phare du bout du monde ne ressemblait à rien de commun : il était en bois, octogonal avec sept lampes alimentées à l’huile de colza. Une simple cabane au-dessus du niveau de la mer, un bout de bois face à l’adversité de la nature marine. Une fragilité, qui plus est une réplique.

La réplique du Phare du Bout du Monde est à La Rochelle !
La réplique du Phare du Bout du Monde est à La Rochelle !

Car ma quête prenait un sens nouveau : le Phare du Bout du Monde de La Rochelle devenait pour moi le symbole d’une formidable aventure maritime. Si ce phare a réellement existé, c’est bien sûr en Amérique du Sud, non loin du Cap Horn, et non pas ici, en pays rochelais. Construit en 1884 afin de guider les marins dans une zone de navigation très dangereuse, il fut abandonné et oublié à partir de 1902, et c’est un aventurier solitaire, le fameux André Bronner, qui le redécouvrit en 1993. Un rochelais, qualifié de « véritable Robinson Crusoë » des temps modernes et initiateur de ce projet un peu fou : reconstruire le véritable phare situé sur l’île des Etats en territoire argentin et le reproduire à l’identique sur les côtes de la vieille Europe, ici, à La Rochelle. Et c’est ainsi qu’apparu aux yeux des rochelais le 1er janvier 2000 la belle réplique du phare du bout de monde que chaque touriste peut aujourd’hui admirer.

L’aquarium de la Rochelle, un voyage dans les mers du monde

J’en étais encore à me demander qui était cet André Bronner quand j’arrivais sur le parvis d’un des lieux touristiques les plus fréquentés de la cité : l’aquarium de La Rochelle. Impossible de faire l’impasse sur cette curiosité unique en Europe qui vous emmène dans toutes les mers du monde. Du bleu nuit aux couleurs les plus chatoyantes, je passais des heures à admirer cette faune marine inconnue. Imaginez : 82 aquariums pour visiter les profondeurs de l’Atlantique, de la Méditerranée mais aussi des Caraïbes et des mers australes. Ah, les mers australes… Je me revis un instant au Reef HQ Aquarium de Townsville en Australie, ou dans les eaux du Queensland à admirer les fragiles merveilles de la Grande Barrière de Corail. Des souvenirs heureux remontaient, et j’en oubliais quelques temps les explorations rochelaises.

La ville de la Rochelle et la découverte de l’Australie : balivernes ?

14h45. Retour sur le parvis de la gare centrale. Le soleil est à son zénith et des nuages menaçants sillonnent l’horizon. Je ferme les yeux et profite des derniers rayons. J’arrive à faire le vide mais un nom reste gravé dans mon esprit : Nicolas Baudin. Ce navigateur, ce géographe, ce botaniste, cet explorateur de terres inconnues. Nicolas Baudin… Je me rappelle avoir lu et entendu son nom plusieurs fois lors de mes voyages en Australie. Il fallait que j’en sache plus. Il fallait que je comprenne quel rôle il avait pu avoir dans la découverte progressive des terres australes, que l’on appellerait plus tard l’Australie. Mais déjà les nuages arrivaient, et un dernier appel aux voyageurs se fit entendre du hall de la gare. La Rochelle, tu m’as manqué. Toi et tes secrets me manqueront encore. A très vite.

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