L’île de Tasmanie, un paradis où vit le diable

Récit de voyages

16 janvier 2013. Je regarde à travers le hublot et le paysage au sol est verdoyant. L’île semble sauvage, inexplorée, inhabitée. Depuis plusieurs années, je rêvais de venir poser les pieds sur cette terre lointaine. Mon rêve se réalisait. Le commandant commença à manoeuvrer pour l’atterrissage et j’aperçus au loin les couleurs de notre civilisation contemporaine : des murs blancs, des toits rouges et de nombreuses variantes. La piste se rapprocha, la mer et l’anxiété aussi. Qu’allais-je découvrir sur cette île de Tasmanie ? Mon rêve allait-il ressembler à un paradis ou un enfer ?

Mais où se situe la Tasmanie ?
« La Tasmanie, c’est en Afrique, non ? ».
Eh bien non, la Tasmanie se situe à 250 km du continent austral et à 2000 km à vol d’oiseau de l’Antarctique. Bien loin du continent africain. Cette île isolée est rattachée à l’Australie, et elle fut découverte en 1642 par un explorateur néerlandais : Abel Tasman. Vous devinez maintenant pourquoi la Tasmanie s’appelle la Tasmanie et n’a rien à voir avec la Tanzanie.

Arrivée à la capitale Hobart

Après un départ quelques heures plus tôt depuis la tumultueuse ville de Sydney, le petit aéroport d’Hobart me sembla tout à fait charmant. Le contraste fut encore plus grand lorsque je sortis du bâtiment principal : une température clémente d’une vingtaine de degrés contre plus de 40 degrés à mon départ de la célèbre ville australienne. L’été austral était bien là, mais moins marqué dans cette région du monde.

Hobart est la ville la plus connue lorsqu’on évoque la Tasmanie. La capitale de cet Etat australien avec ces 240 000 habitants possède certains charmes (son port notamment), mais elle ne m’a pas particulièrement marqué. Les maisons sont colorées, la vie semble douce et paisible, la vie culturelle présente avec de nombreuses galeries et musées. Mais la suite de mon voyage allait me faire préférer une ville située plus au Nord. Je retiens cependant d’Hobart ma visite au Tasmanian Museum and Art Gallery, un musée parait-il formidable pour connaître l’histoire des aborigènes de Tasmanie, mais dont la partie aborigène était fermée pour travaux. Le rêve commençait plutôt mal.

Cradle Moutain, paradis des randonneurs

Si les australiens viennent flâner sur les plages tasmaniennes le temps d’un congé, la plupart des touristes étrangers viennent en Tasmanie pour randonner. Et le top du top, c’est la traversée du parc national de Cradle Mountain-Lake St Clair via son sentier l’Overland Track. A condition cependant de s’inscrire en amont (le nombre de randonneurs étant limités). Ayant bien anticipé ces modalités administratives, je pris donc un bus deux jours après mon arrivée avec pour destination Launceston, une ville située plus au Nord et proche de Cradle, ce célèbre parc classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

La proximité de l’île de Tasmanie avec le continent Antarctique se fit sentir tout au long de mon voyage. A travers la vitre du bus, je retrouvais des paysages connus : des arbres couchés par le vent que l’on peut voir aussi en Patagonie (dont certains à l’Ouest de l’île font partis des plus vieux du monde), des prairies souvent arides et proche de la toundra du cercle polaire arctique. Après la vie tumultueuse de Sydney, je commençais enfin à respirer, à me sentir « comme chez moi ».

Maisons victoriennes à Launceston, dans le Nord-Est de la Tasmanie

Launceston me confirma cette impression, avec ses rues paisibles et ses jolies petites maisons victoriennes. La nature environnante et l’impression d’être « au bout du monde » me fit aimer immédiatement ce petit bout de civilisation perdue du Nord de la Tasmanie. Le lendemain, je pris un autre bus pour rejoindre le parc, en me promettant de revenir explorer cette ville un peu plus tard.

Au bout de quelques heures, le parc de Cradle Mountain se dessina enfin. Des montagnes tranchantes, des lacs d’un bleu profond. Les sommets oscillent entre 1 300 et 1 600 mètres, ce qui n’est pas si haut pour un européen confirmé à la randonnée. Mais c’est sans compter les conditions météorologiques. Comme toute zone montagneuse, le temps change très vite et le départ commença sous une pluie intense et glaciale. Au bout de quelques heures, sans visibilité, je décidais de quitter l’Overland Track et de revenir vers le lac St-Clair. Le temps était toujours maussade et le tonnerre grondait au loin. Il ne me restait qu’à planter la tente et attendre que cela passe. Malheureusement, le lendemain ne fut guère changeant et c’est seulement au troisième jour que le soleil apparu. J’abandonnais donc l’idée de suivre l’Overland Track et décidais d’admirer les lacs et autres curiosités proches du mont Cradle. Un début de paradis s’offrit à moi.

Le lac St-Clair dans le parc de Cradle Mountain en Tasmanie
Végétation d’été devant les monts Cradle
Vallée du parc national de Cradle Mountain-Lake St Clair

Le diable de Tasmanie vient-il de l’enfer ?

Qui n’a pas rêvé de prendre ce petit animal aux allures d’ourson dans ses bras ? Pas moi, car ce petit marsupial a bien des défauts : un cri strident digne d’un film d’horreur, une mâchoire puissante, une odeur fétide et parait-il un mauvais caractère bien prononcé. Mais surtout, il est très difficile de le voir en milieu naturel, et c’est bien souvent dans un zoo que l’on se fera une idée des qualités cachées de ce petit « diablotin ». Comme beaucoup d’animaux chassés pas l’homme, le diable de Tasmanie est aujourd’hui une espèce protégée. Certains ont d’ailleurs été réintroduits en 2020 sur le continent australien.

Un diable de Tasmanie au repos (zoo de Sydney)

Le tigre de Tasmanie (« Tasmanian Tiger », appelé encore thylacine ou loup de Tasmanie), n’a pas eu la même chance. Chassé par les premiers européens arrivés sur l’île, il a disparu depuis 1936. Si vous voulez savoir à quoi il ressemblait, prenez le corps d’un loup avec la tête et le pelage d’un tigre. Etrange créature qui vivait principalement la nuit et que l’on peut encore observer aujourd’hui sur les peintures rupestres des aborigènes et sur quelques rares photos. Certains croient encore à sa survie, assurant l’avoir croisé en forêt. Des primes sont parfois offertes par des philanthropes pour prouver l’existence du thylacine. Si le tigre de Tasmanie a certainement disparu, il est encore chassé par de nombreux voyageurs ! La Tasmanie lui rend désormais hommage sur son blason.

Un wombat curieux de connaître la marque de mes chaussures !

Mais revenons à mon périple tasmanien. A Cradle Mountain, j’ai eu la chance de croiser plusieurs wallabies et quelques wombats, apparemment très curieux de connaître la marque de mes chaussures de marche ! Ces derniers sont très impressionnants avec leurs 30 à 40 kilos. Herbivores, il vaut mieux éviter leur mâchoire, surtout qu’eux aussi ont parfois leurs humeurs !

L’Histoire douloureuse des premiers habitants de Tasmanie

Si la Tasmanie fut découverte en 1642 par les européens, l’île était occupée depuis 35 000 an par les aborigènes. C’est en visitant le Queen Victoria Museum & Art Gallery à Launceston lors de mon retour de Cradle Moutain que je découvris dans un livre la triste histoire de ces premiers habitants : alors qu’ils étaient environ 10 000 au début du 19ème siècle, 30 ans plus tard ils n’étaient plus que 300 pour finalement disparaître en 1876 avec la dernière femme aborigène de « sang pur » : Truganini. Les persécutions, l’alcool et les maladies importées sont principalement la cause de leur disparition. Là encore, il ne reste que quelques photos prises par les colons de l’époque pour témoigner de cette civilisation perdue.

L’église tasmanienne du village de Ross, au centre de la Tasmanie

L’histoire de la Tasmanie est douloureuse. Après les aborigènes, les bagnards venus d’Europe sont devenus les habitants de l’île. Accompagnés de leurs gardiens, ces repentis ont aidé à construire les villes et les villages : maisons, ponts, églises…

Pont historique de Tasmanie construit par les bagnards
Moulin du village historique d’Oatlands

La malédiction de Port Arthur

Le plus célèbre bagne de Tasmanie est celui de Port Arthur, situé au Sud d’Hobart. La prison ferma en 1877, et est aujourd’hui classée et accessible aux touristes. Mais l’histoire tragique de l’île se perpétua : en 1996, un homme tua à Port Arthur 35 personnes et en blessa 37 avec un fusil. Martin Bryant a été capturé vivant et termine ses jours en prison. Le paradisiaque site de Port Arthur cache donc de lourds secrets.

Port Arthur, célèbre bagne tasmanien classé au patrimoine mondial de l’Unesco

Frissonner de joie à Freycinet

C’est à Swansea, petit village touristique de la côte Est de la Tasmanie, que je posais ensuite mon sac à dos pour une nuit. A la lecture de mon guide, la promesse locale était ambitieuse : le parc national de Freycinet, fondé en 1916, posséderait l’une des dix plus belles plages du monde ! J’avoue être toujours sceptique lorsque je scrute ce genre de classement mais la curiosité est un de mes défauts. C’est donc par une belle journée d’été tasmanien que je partis découvrir cette côte sauvage. Et il faut bien avouer que les plages de Freycinet ont un caractère bien à elle : le granit rose aux formes accidentées jonchant la côte et le sable blanc sont bien plus proches du lieu paradisiaque que bon nombre de plages sur notre planète.

Le parc national de Freycinet et ses plages de granit rose

Mon voyage en Tasmanie touchait à sa fin. Cette île m’avait offerte de nombreuses facettes, de son histoire douloureuse à ses paysages uniques. L’adage « Explore The Possibilities » que l’on peut lire sur les plaques d’immatriculation des voitures locales ou sur les prospectus touristiques me posa question : qu’étais-je venu chercher sur cette île isolée ? Avais-je exploré ici ce que j’étais venu chercher ? Des réponses commençaient à trotter dans ma tête, mais j’étais sûr d’une seule chose : l’exploration n’était pas complète, il manquait des pistes que je n’avais pas encore découvertes. A l’aéroport, alors qu’un appel à l’embarquement se faisait entendre, je refermais un des livres achetés à Launceston et décidais que ce vol retour ne serait pas le dernier.

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